Mémoires de résidence

Mémoires de résidence

Florentine Rey, pour son entrée dans le territoire, a écrit une lettre adressé à Joachim du Bellay. Une lettre d’anniversaire pour jouer avec le poète autour de ses mots et des mots à venir… La lettre a été lu par Florentine Rey le jeudi 30 juin 2022 Sous le Chapiteau d’Orée d’Anjou.

 

Le 30 mai 2022, Liré.

Cher Monsieur Du Bellay,

Joyeux anniversaire. 500 ans ! J’ai bien regardé vos portraits, votre barbe est encore très à la mode ! L’événement de votre anniversaire n’est peut-être pas le meilleur moment pour ce qui va suivre mais j’aimerais vous parler d’un point important. Cela concerne votre écriture. Sans vouloir vous vexer, Monsieur Du Bellay, votre poésie supporterait quelques petits arrangements. Le contexte a changé, les enjeux ne sont plus les mêmes. À la renaissance, les adjectifs sont peut-être de belles parures mais de nos jours on s’en méfie. Ainsi pourriez-vous faire l’économie de quelques éternel. Quant à l’alexandrin, vertige de la rime et de la précision, c’est un travail de longue haleine sans doute passionnant mais peut-être un peu ronronnant. Le lecteur contemporain, ce qu’il veut, c’est participer. Il faut lui laisser de la place, qu’il puisse glisser ses notes et ses propres respirations dans votre musique.


Autre chose : quand vous écrivez : Ô marâtre nature (et marâtre es-tu bien de ne m’avoir plus sage ou plus heureux fait naître) : la nature marâtre, c’est proscrit, Monsieur Du Bellay. De nos jours la nature on la respecte. Vous qui vous intéressez au droit, savez-vous que dans certains pays on légifère pour que les fleuves, les arbres, les rochers deviennent des personnes ?

Et ce Ô ? Je comprends qu’il souligne l’état contemplatif que partage souvent les poètes mais ne pourrait-on pas le remplacer par Quelles ? Ô belles dents d’ébène / ô précieux trésors : quelles belles dents d’ébène, quels précieux trésors ! Un ton plus familier siéra mieux à l’époque et ça ne change pas le nombre de pieds. Et pourquoi ne pas remplacer vos NI par des AVEC ? Ni la fureur de la flamme enragée / Ni le tranchant du fer victorieux / Ni le dégât du soldat furieux : AVEC la fureur de la flamme enragée / AVEC le tranchant du fer victorieux. C’est plus inclusif. Aujourd’hui on cherche à créer du commun, Monsieur Du Bellay, des systèmes ouverts. On vit une période de liens, de communication. Donc AVEC les fleurs, les abeilles errantes, AVEC les forêts, les tresses verdoyantes, AVEC les oiseaux, AVEC les rochers, les traces ondoyantes Mais nous aurons l’occasion de reparler de tout ça de vive voix puisque que je m’installe pour un temps dans vos murs.

 

Florentine.

 


Durant sa résidence à La Turmelière, Florentine Rey a rencontré des habitants et leur a proposé d’expérimenter des conversations poétiques face au paysage des ruines du château du poète. Pour visionner le film des conversations poétiques : https://vimeo.com/830383060